Manège

installation et performance

Manège

Installation et performance
2022 Space Collection, Liège
Mixed media
Crédits photo : Thierry Vulsteke, Aurélie Frankenne, Space Collection

La Space était un appartement avant de devenir un espace d’exposition. La disposition de ce petit intérieur domestique m’a invitée à y transposer ma demeure mentale, caractérisée par un flux de doutes plutôt que par les certitudes. Je me suis observée cherchant la vérité et j’ai constaté que je déplaçais chaque affirmation pour éviter toute prise de pouvoir d’une pensée sur une autre. Il en résulte un conflit intérieur, une double réalité permanente, évoquée entre autres par le fauteuil central. Pourtant, c’est l’attitude contraire qui est unanimement valorisée, sous prétexte d’une efficacité plus rentable. Cette dynamique impose de nier certains détails, de les reléguer aux oubliettes, au placard. On sélectionne, on écarte, ça disparaît. On cache et on élimine ce qui nous dérange. Le manège du ménage incarne cette activité sisyphienne qui consiste à éliminer ce qui gêne pour produire notre vision de la réalité.

L’érotisme sado-masochiste, les jeux de domination-soumission et les fantaisies fétichistes me permettent de dénouer ces tensions dialectiques et d’ironiser certains conflits émotionnels. Ces pratiques extériorisent les rapports de domination et sont une proposition pour y échapper par l’exagération, en utilisant le grotesque et le cliché pour se les réapproprier. Selon Michel Foucault, le S/M est l’érotisation des rapports stratégiques pour une source de plaisir physique, plutôt que la sexualisation de la souffrance et de la violence. Theodor Reik ajoute que ces pratiques caricaturent la violence déjà présente dans la société humaine. L’esthétique de cet univers est souvent méprisé, surtout pour sa vulgarité, ce qui m’a au contraire donné envie de lui rendre hommage, encore une fois pour un changement d’échelle de valeurs.

Car renverser les valeurs, c’est bien ce que procurent ces jeux, par lesquels les contraintes deviennent plaisir, et le confort une torture. Les contradictions peuvent s’y soulager, l’affirmation de soi s’éprouve avec plus de légèreté sur ce terrain non permanent. Le jeu permet d’échapper à ce que notre identité renvoie dans la sphère publique. Parfois, en monstre, on s’aime mieux. Les blessures deviennent des bijoux que l’on porte avec orgueil. Les insultes des compliments. On se rend forcément compte que la vérité des perceptions nous échappe. Ce qui est bon ici, se retrouve mauvais ailleurs. Et si l’on ne voyait forcément le monde extérieur qu’au travers d’un filtre, selon des codes et des règles décidés en amont, sans en avoir vraiment conscience ?

Toujours dans ce cadre, ma fascination pour le rôle de la prostituée tient d’abord à sa capacité à créer son économie à partir de son propre corps et grâce à la pure séduction. Sa profession est interdite mais tolérée. Tout entière au service du charme et du plaisir, elle fait du mensonge sa vérité, et se moque des règles de convenances, des mœurs autorisées et de la bien-pensance. On la voit souvent comme une victime alors que je la trouve d’une grande puissance, celle qui n’économise pas son corps, ou qu’elle ne réserve pas à quelques privilégiés, malgré sa précarité et sa position hors système. Sur certains points, je vois dans ce positionnement une parallèle avec la situation existentielle de l’artiste, sensé « se vendre » à tout prix, se faire une place sur le marché pour espérer une certaine reconnaissance. Les pièces de 1 cent se rapportent à cette économie fragile.

Lors de la performance, mon personnage relie les différentes pièces du puzzle en activant les installations. Sa tenue de soubrette associe la femme de ménage et son cliché érotique immuable. Enfermée sous un confortable fauteuil, la ménagère pense avec ses mains, elle entame une discussion de signes sur l’origine, les enjeux et la fin. Jeux de main, jeux de vilains, en attendant qu’on la délivre, une clé dans la bouche. Elle danse ensuite avec son balais élastique, un godemichet géant, et dégage le passage qui mène au manège du ménage.